Discours devant le monument de la foi

L’homme est un être de communion; il n’est jamais tant lui-même que lorsqu’il comprend et qu’il aime. Comprendre pour aimer; aimer pour comprendre…

Depuis hier matin, notre groupe ne fait que cela, épris qu’il est du patrimoine culturel de notre peuple, en particulier de la célébration des grandes dates de son histoire.

Le culte du passé qui nous rassemble aujourd’hui se voulait, il y a 100 ans, une communion collective à notre univers immédiat, c’est-à-dire une communion au milieu physique, culturel et spirituel qui nous a vus naître et qui nous a pétris, ce que nous décorons du beau nom de patrie.

Monument de la foiOui, le 16 octobre 1916, nos pères procédaient ici même, au dévoilement du monument que vous voyez, édifié pour rappeler la semence jetée en terre canadienne en 1615 par quatre fils de saint François, aussi jeunes qu’enthousiastes : les Récollets Denys Jamet, Jean Dolbeau, Joseph Le Caron et Pacifique Duplessis.

Ce cadeau de la vieille France assurait à notre pays naissant le prolongement de l’héritage chrétien qui nous a longtemps défini comme peuple, et qui pourrait – sait-on jamais? – encore nous définir.

Or, il se trouve que cette fête de 1916 autour du monument qu’on inaugure n’était pas alors un cas unique, un cas d’exception.

Cette fête s’inscrivait dans un mouvement plus large qui nous a marqués, je veux parler des célébrations de notre histoire par l’érection sur nos places publiques de monuments commémoratifs, une pratique qui a duré chez nous presque cinquante ans, soit de 1881 avec l’inauguration du monument Salaberry à Chambly, à la crise économique de 19291.

On n’a pas à courir bien loin pour s’en convaincre, ce ne sont pas les monuments qui manquent dans la vieille Capitale.

Voyez le monument Champlain, ici tout près le monument Mgr de Laval dans la côte de la Montagne; le Georges-Étienne Cartier au parc Montmorency, voyez le François-Xavier Garneau à la Porte Saint-Louis, l’Honoré Mercier devant le Parlement, et j’en passe. Tous ces monuments ont été élevés dans la période dont je parle2.

En préparation de ces fêtes, nos Pères faisaient appel à diverses disciplines artistiques : principalement l’éloquence, le cérémonial et la sculpture. En fait, ils ont, en y ajoutant de leur cru, copié la mode de leur temps.

C’est par le socle et la statue qu’ils rappellent la mémoire de leurs célébrités et des événements qui les ont illustrés.

On ne procédait pas autrement à la même époque en France, en Angleterre et partout en Occident.

En agissant ainsi, nos Pères allaient provoquer une série d’ovations qui ont ramené sous les yeux des Canadiens les renommées du temps jadis et les fixer à jamais dans l’esprit de la jeunesse.

Le monument, il est vrai, ne fait pas grand bruit, comparé aux grands discours, aux déplacements de la foule avec fanfare, aux cérémonies religieuses accompagnatrices…

Mais, à la différence du rituel et de la parole, le monument a tout son temps pour signifier. On s’est donné beaucoup de mal pour l’édifier, mais on compte bien qu’il va durer.

La raison d’être du monument, c’est de se perpétuer, afin de s’offrir longtemps à l’édification des générations.

En conséquence, il n’est pas étonnant qu’on l’édifie dans des matériaux résistants (le granite et le bronze), des matériaux « nobles » comme on disait alors, des matériaux avec visibilité assurée (à ciel ouvert, en plus grand que nature –  ici 3 mètres la statue, 11 mètres le monument), dans un lieu fréquenté (ici, au coeur du Québec touristique) et, si possible, sur un sol chargé d’histoire (nous sommes, ici, à la porte même du couvent des Récollets d’avant l’incendie de 1796).

Certes, on aurait bien pu appeler le mausolée Monument aux Récollets. On aurait bien pu le dédier à l’un ou l’autre des missionnaires célébrés : un monument Dolbeau, par exemple – pourquoi pas?

C’eût été plus concret, plus facile à repérer, de sorte qu’il serait sans doute mieux connu aujourd’hui, le monument. N’oublions pas que la commémoration est un art populaire, dans le sens qu’elle s’adresse à toute la population.

Mais, bon! on a choisi de l’appeler « Monument de la Foi », appellation amplement justifiée du point de vue des idées, rien à dire là-dessus, mais, quand même, d’une modulation plutôt abstraite.

Quoi qu’il en soit, la Foi, il a bien fallu lui donner un visage. On l’a symbolisée par une figure féminine d’un bel allant, présentant la croix d’une main à la manière missionnaire et tenant le rameau de la victoire de l’autre. Donc une image de haute vertu et de gloire, comme il convient.

Mais ce qui fait l’originalité de ce monument, c’est que le bassin qui existait précédemment était animé d’un jet d’eau qui plaisait à tout le monde. Comme personne ne voulait s’en départir, on opta pour la création d’un monument, mais d’un monument-fontaine, une nouveauté à l’époque.

On opta aussi pour un socle de style gothique, une autre nouveauté chez nous pour ce qui est des monuments. Ainsi donc surgissait de l’eau d’un bassin circulaire à plusieurs étages un monument d’un nouveau genre, dont les promoteurs étaient très fiers.

Voyez aux quatre angles du tronc principal ces arcs-boutants solidement taillés, oeuvre d’un architecte qui s’y connaissait. Ces arcs-boutants appuient les pilastres compagnons du socle central, pilastres qui se terminent par des pointes en fleurs de lys, quelque chose comme une prémonition de ce qui viendra.

Voyez aussi le socle central aux quatre flancs qui offre à l’attention du spectateur, à hauteur de la vue, des plaques de bronze à reliefs affichant, côté frontal, la dédicace du monument et mettant en scène, dans les trois autres flancs, l’une ou l’autre des figures commémorées.

On y trouve, dans la première, l’arrivée du P. Dolbeau à Québec en compagnie de Champlain; dans la deuxième, la première messe célébrée à Montréal par le P. Jamet et, dans la troisième, le P. Le Caron découvrant le pays des Hurons.

Malheureusement, ces tableaux sculptés sont de lecture difficile, à cause de leur éloignement du spectateur et de leur petite taille; à cause, en outre, d’un art du relief qui se cherche encore.

Mais, même si je trouve à redire sur le détail, il ne fait pas de doute, que le monument, pris dans son ensemble, pourvu qu’on en oublie l’aspect didactique, est une réussite du point de vue de la beauté.

Comme faisait remarquer Son Excellence le lieutenant-gouverneur, on dirait « un fragment de cathédrale ». Voilà qui ressemble, ajouterions-nous, à la pointe d’une flèche surgissant de l’onde, tournée vers le ciel comme la promesse d’un grand bonheur.

Et la Foi dans tout cela, me direz-vous? La Foi, je la retrouve dans l’idée de la fontaine qui abreuve; car la Foi, c’est d’abord un don de Dieu qui désaltère.

Je la retrouve aussi dans l’article de circonstance qu’un auteur anonyme a fait paraître à l’époque dans le journal Le Progrès du Saguenay, article qui dit ceci :

« La religion seule fonde et soutient la vraie civilisation. Par une nouvelle application de cette vérité, le peuple naissant tirait de sa foi des principes de vie intime qui font l’admiration des historiens, même prévenus. Quel charme c’est pour nous de chanter les mœurs pures, simples et douces de nos ancêtres, leur amour du foyer, leur gaieté de coeur, leur urbanité proverbiale! Humbles vertus qui leur faisaient poursuivre allègrement le chemin parfois rude de leurs destinées »3.

Peut-être objectera-t-on que parler de patrie par les temps qui courent, c’est tenir un discours largement dépassé. Car l’heure n’est plus à la vie au foyer ni à la nostalgie paysanne, encore moins au nombrilisme.

Le 21e siècle, qu’on le veuille ou non, pousse à l’ouverture aux autres, à l’unification des races, au rapprochement des ethnies, des langages, des mentalités, visées on ne peut plus chrétiennes pour peu qu’elles s’apparentent à la charité. C’est bien ce qu’avait prévu Teilhard de Chardin. Et ces transformations créent des chocs culturels importants – je ne vous apprends rien en disant cela.

En ces temps où s’activent les autoroutes électroniques, il est certain que le lieu nourricier de nos enfances s’étend et se diversifie au-delà de toute prévision et que la géographie de nos amours de croissance ne se limite pas au sol natal.

Voilà qui nous place dans un combiné de changements sans précédent, avec, à la clé, les fausses promesses et les misères que la nouveauté véhicule toujours un peu.

Mais n’oublions pas que nous appartenons, pour une part, au monde des corps, que nous ne sommes pas nés n’importe où, mais en un lieu donné, que nous ne sommes pas nés n’importe quand, mais en un temps donné, et que ce temps et lieu joue dans nos vies un rôle psychologique primordial. Il constitue, pourrait-on dire, comme le noyau dur de notre existence.

Le mot « patrie », bien sûr, réfère à un lieu, le lieu de nos premiers pas dans la vie, en dépendance de nos parents.  La patrie c’est un lieu, oui, mais c’est aussi un lien un lien profond, mystérieux.

Pensez aux expatriés, accueillis chez nous, sortis d’une mère patrie parfois odieuse, maltraités à qui mieux mieux, qui, une fois installés, n’en restent pas moins émus dès qu’ils y pensent, on dirait presque avec nostalgie.

Force nous est de constater, malgré notre aisance de tempérament, que nous devons vivre aujourd’hui dans un Québec abonné à un laïcisme dominant, qui manque rarement l’occasion de mépriser la religion, d’où, pourtant, nous tirons le meilleur de nous-mêmes. Car je ne crains pas de l’affirmer, le meilleur du Québécois, même aujourd’hui, lui vient de l’héritage judéo-chrétien.

Remarquez que, de nos jours, les Québécois ont la réputation d’être liants, d’être « parlables », humainement intéressants. D’où sortent-ils donc, ces Québécois?

Le scribe du journal Le Progrès du Saguenay rappelait en 1915 les  mœurs pures, simples et douces de nos ancêtres », « leur gaieté de coeur et leur urbanité proverbiale ». À croire que les grosses familles d’autrefois initiaient d’emblée et avec naturel à la socialisation4.

Contentons-nous, en attendant des jours plus stables, de réfléchir au constat du sociologue Peter Berger parfaitement applicable à ce qui nous arrive :

« Les développements religieux qui prennent leur source dans la tradition biblique, écrit-il, peuvent être considérés comme des causes de la fondation du monde moderne sécularisé. Une fois formé, cependant, ce monde empêche justement que la religion continue à manifester son efficacité comme cause organisatrice »5.

Cela dit, il ne faudrait pas que les difficultés propres à notre temps nous empêchent de célébrer le passé dans ce qu’il a de meilleur. N’oublions pas que nos prédécesseurs récollets ont dû composer avec des difficultés parfois autrement plus dérangeantes que les nôtres.

Hommages donc à ces vaillants précurseurs. Ils ont ouvert notre pays à la vie consacrée. Ils ont, avec les Jésuites, tracer le chemin au cortège des congrégations qui ont suivi, congrégations de femmes et d’hommes qui ont été pour beaucoup dans l’édification de ce nous sommes devenus. Souvenons-nous de ne pas l’oublier!

Je dirai pour finir : continuons d’assurer la pérennité de nos monuments; ils nous rappellent d’où nous venons, qui nous sommes et où nous allons.

  1. Il existe quelques monuments avant 1881, mais ils sont de conception étrangère : l’obélisque Wolfe-Montcalm près de la terrasse Dufferin, la colonne Wolfe sur les Plaines d’Abraham, la colonne Nelson à Montréal, le monument Victoria de Marshal Wood, une copie à Montréal, l’autre à Québec, la colonne du Parc des Braves, chemin Sainte-Foy, don d’un prince Bonaparte, Messire Antoine Girouard à Saint-Hyacinthe, oeuvre du sculpteur belge François Van Luppen. Le premier monument de la mode commémorative dont nous parlons est celui de Salaberry à Chambly, une initiative d’un Monsieur Dion et une oeuvre d’un Canadien, le sculpteur Louis-Philippe Hébert.
  2. Cf. Bruno HÉBERT, Monuments et Patrie, une réflexion philosophique sur un fait historique : la célébration commémorative au Québec de 1881 à 1929, Joliette, Les Éditions « Pleins Bords », 1980, 400 p.
  3. Article paru dans Le Progrès du Saguenay, 16 avril 1915, signé Sacerdos et reproduit dans le Volume-souvenir Le troisième Centenaire de l’Établissement de la Foi au Canada, édité par le P. Odoric M. Jouve, O.F.M. en 1917, p. 198.
  4. Le témoignage d’un confrère français au Canada depuis deux ans peut nous éclairer. Nouvellement nommé directeur du Collège de Chambly, le P. François Lahaye trace le portrait de ses élèves à son supérieur français en ces termes. « Canadiens tenant des Français pour leur jovialité, les bons mots et le caquetage; mais comprenant dès le lendemain de leur entrée au Collège la consigne quasi militaire de la police collégiale. Propre et changeant de linge deux fois par semaine. Sensibles, humains, susceptibles, un peu maîtriseurs de leurs parents, à cause de la faiblesse presque idolâtre de ceux-ci, ils ont au Collège parce qu’ils veulent y être. » Lettre du 9 décembre 1850. Ailleurs, il va jusqu’à écrire : « Ici, cher Père, vous verriez la religion catholique dans toute son amabilité, dans toute se splendeur, mieux qu’à Rome, mieux que partout. » Lettre du 16 août 1848. In Léo-Paul HÉBERT, Le Québec de 1850 en Lettres détachées, « Civilisation du Québec », Ministère des Affaires culturels du Québec, 1985.
  5. Peter L. BERGER, La Religion dans la conscience moderne. Paris, Éditions du Centurion, 1973, cité par Paul-André TURCOTTE, c.s.v. dans Le Viateur illustré, Les Clercs de Saint-Viateur du Canada, 1998, p. 208.

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